Élève à St-Michel de 1953 à 1965 (12 années) – Professeur à St-Michel de 1968 à 2012 (44 années)

« C’est au milieu du siècle passé, plus précisément en 1953, que j’ai franchi pour la première fois le petit porche étroit et peu avenant de la rue du Collège 126. Mais que de choses ont changé depuis lors !

Comme beaucoup d’enfants de l’époque, je fus accueilli par le Frère Mutien dans une classe de 1re année où l’on comptait 48 élèves. Rien que des garçons bien sûr. Pas un seul élève d’origine étrangère dans toute l’école, sauf justement dans ma classe : un petit gars bien sympathique, bientôt connu dans toutes les classes, et prénommé Eugène.

Le Frère Mutien organisait même la préparation à la première communion de sorte que c’est avec 34 élèves de ma première primaire – la plupart en cravate – que j’ai communié pour la première fois. »

« Tout au long de mes classes primaires, j’ai suivi des cours d’écriture avec le Frère Macaire. Chaque banc avait son petit pot d’encre. Mais attention, le Frère Macaire n’aimait pas du tout les plumes Ballon, pourtant réputées. Il insistait pour que nous achetions des plumes bien meilleures, fournies, cela va de soi, par les Frères des Ecoles Chrétiennes. »

« Comme mes compagnons de classe, je portais fièrement la toque bleu marine, avec l’insigne de St-Michel, sur laquelle je pouvais ajouter chaque année une étoile dorée. Quelle fierté quand on pouvait épingler la sixième étoile! Pas possible de confondre les élèves de St-Michel avec ceux de St-François portant une toque ronde grise et bordeaux sur laquelle ils additionnaient eux aussi les étoiles.

De temps en temps nous allions à la grande salle des fêtes située au fond de la cour au deuxième étage (tous les locaux du G2 actuel) pour y voir un film ou y vivre une fête scolaire. C’était une vraie salle de spectacle avec scène surélevée, épais rideau de velours comme dans un théâtre, coulisses de chaque côté, projecteurs, poste pour le souffleur, fauteuils épais repliables comme dans tout bon cinéma, grands décors variés.

Ces activités, le Frère Directeur pouvait les annoncer depuis son bureau à toutes les classes en même temps, car au dessus de chaque porte il y avait un haut-parleur qui permettait des messages collectifs.

La messe du matin était normalement obligatoire: départ à 7h55 avec le titulaire de classe, pour le primaire à l’église Notre-Dame, pour le secondaire à la chapelle St-Lambert. Les élèves qui arrivaient en retard venaient s’installer peu à peu dans les rangées réservées à leur classe. À la dernière rangée l’instituteur tenait une comptabilité précise des présences et des heures d’arrivée. De retour à l’école, les élèves étaient autorisés, vu le jeune obligatoire pour la communion, à manger en classe. Deux élèves avaient même la permission – mais c’était pour eux un plaisir ! – d’aller chercher les bols de café au sous-sol.

Avoir son chapelet était évidemment vital. En sixième primaire, avant la prière de midi, chacun, à bout de bras, devait ostensiblement montrer son chapelet, sinon punition: s’abaisser, passer sous le tableau, pour rester debout derrière le tableau qui formait un petit angle avec le mur. Comme le maître était sévère, je disposais toujours dans mon cartable d’un second chapelet, en cas de perte du premier.

En humanités, l’école veillait même à assurer périodiquement les confessions pour toutes les classes durant les cours. Dois-je préciser que la classe entière, heureuse de brosser légalement les cours, se précipitait à la chapelle ?

Mais durant les années 60, les Frères percevaient déjà le déclin de leur ordre. Chacun était donc appelé auprès d’un Frère « recruteur » qui essayait de dénicher les vocations.

Comme tout bon élève de Saint-Michel, je faisais également partie de la Croisade, puis plus tard des Compagnons de St-Michel. C’était le mouvement de jeunesse, proche du scoutisme, créé en 1953 par le Frère Directeur Mutien-Clément. Uniforme bleu. Foulard bleu à bord jaune. En tant que dirigé ou dirigeant, j’y ai passé des heures merveilleuses (notamment à la Sapinière), et ce fut, je crois, un excellent apprentissage pour ma vie professionnelle. »

« Si on était chrétien modèle, on était aussi patriote. Le 8 mai, toutes les classes marchant au pas défilaient dans Verviers pour déposer finalement une gerbe au monument de la place de la Victoire. Tous nous écoutions silencieusement le discours majestueux de l’abbé Dechêne (photo ci-contre). Bien sûr, des répétitions préalables avaient lieu dans la cour. On faisait des tours de cour en marchant au pas, parfois même avec un accompagnement musical. Le dernier défilé – grandiose ! – s’est déroulé en 1964 pour fêter l’inauguration des nouveaux bâtiments, le bloc N avec ses 18 classes. Les 1000 élèves de l’Institut, tous en tenue de gymnastique, en rang de trois ou quatre, défilèrent dans toute la ville, via la rue Spintay, la rue du Brou, place Verte, rue des Martyrs, rue du Palais. »

« St-Michel se distinguait aussi pour sa fancy-fair, probablement la plus grande de Verviers. Avec la participation de vedettes de la variété bien connues. Un chapiteau gigantesque (photo ci-contre) était monté dans la cour laissant à peine un passage étroit pour les élèves. Quel branle-bas lors du montage et du démontage !

L’Institut disposait aussi d’un local plus modeste qui permettait aux anciens des mouvements de jeunesse de se retrouver. Un local auquel les pompiers actuels attribueraient un 0/10 au point de vue de la sécurité. Des soirées dansantes y étaient organisées, avec comme invitées, le plus souvent des jeunes filles de l’Institut des Saints-Anges. »

« Et le pédagogique ?

Nous recevions un bulletin détaillé, soit toutes les semaines, soit une semaine sur deux, selon les années. Et quand le Frère Directeur Marie-Alphonse (photo ci-contre) venait remettre les bulletins, nous avions même droit à des images pieuses comme récompense. Il faut reconnaître aussi que l’Institut était réputé pour la qualité de sa formation en mathématique. Le latin viendra s’y ajouter en 1959 pour créer une section d’avant-garde appelée « latin-mathématiques » que j’ai eu le plaisir d’inaugurer. (Formation phare ! 9 heures de latin en 6e, 9 heures de mathématiques en rhétorique.) La compétence principale – n’en déplaise à nos conseillers pédagogiques actuels – c’était la « récitation », terme utilisé par de nombreux enseignants lorsqu’ils parlaient de leurs tests. »

« Pour stimuler les élèves, la revue Vert et Vieux, obligatoire pour tout le monde, publiait les trois premiers de chaque classe après les examens de Noël, Pâques et fin d’année. Une proclamation solennelle des résultats avait lieu, d’abord dans la salle des fêtes, puis plus tard au Pathé, un très beau cinéma situé à l’emplacement actuel de notre hall de sport. Tous les élèves étaient alignés au fond de la scène. Puis l’appel commençait. Chacun s’avançait jusqu’à l’avant du milieu de la scène, saluait le public, puis se tenait bien droit et immobile, derrière la petite croix à la craie dessinée sur le sol. Quatre à droite, quatre à gauche, une petite allée centrale, et ainsi l’alignement était parfait. Les élèves qui échouaient, jamais appelés, restaient debout derrière, tout honteux. Avec ce système, nous connaissions évidemment les noms des meilleurs élèves de toute l’école, tout comme nous connaissons maintenant les meilleurs footballeurs nationaux. Et pour couronner le tout, un palmarès distribué à toutes les familles reprenait les résultats de tous les élèves par classe, avec mention du total obtenu. Le dernier palmarès est paru en juin 1974.

En résumé, durant toutes ces années, j’ai vu bien des changements : des bâtiments en constante évolution ; M. Deliège, mon premier directeur laïc ; l’introduction du « rénové » contesté par certains ; des années de discussion sur la docimologie ; la disparition des cours du samedi ; l’arrivée des filles dans les classes, et suite logique, l’arrivée rapide d’une dizaine d’enseignantes ; la disparition de la fumée et des locaux enfumés ; et plus récemment, chez certains « progressistes », le bisou matinal d’homme à homme…

Donc, adieu les toques, les confessions, le frère recruteur, la croisade, le chapelet, les défilés dans Verviers, les classes à 40 élèves, les proclamations solennelles… Mais l’essentiel demeure : St-Michel reste pour moi un modèle de convivialité. Avec le dynamisme et la disponibilité de son corps professoral, le respect réciproque directeurs-enseignants, le souci de soutenir tous les élèves – même si à l’heure actuelle ce n’est pas toujours facile ! – et la volonté de faire progresser chaque élève quel que soit son milieu social. »

 

Christian Rensonnet